dimanche 10 juillet 2022

Une (bonne) idée à la con

J’étais en Colombie cet hiver lorsque Guillaume Taillebresse m’a contacté pour me faire part de son projet : gravir l’Ossau par toutes ses faces dans la journée. Occupé à pédaler frénétiquement dans la Cordillère des Andes, il a fallu que je me reconnecte, pour d'une part me souvenir où se trouvait l’Ossau, ce qui m’est revenu assez vite, et d’autre part réfléchir à combien de faces il présentait et comment en articuler les ascensions dans un ordre cohérent… 

Avec Guillaume, nous avions parcouru il y a quelques années la traversée des Quatre Pointes à un bon rythme. Préparateur physique, adepte des ultra-trails et autres efforts de longue haleine, je savais qu’au niveau de l’endurance et de la connaissance de soi, il n’y aurait pas de soucis.


Lorsque nous parlons un peu du projet, il me dit que depuis les Quatre Pointes, il s’est mis à grimper et que nous pouvons inclure au projet des voies plus raides. En mixant tel un Rubik’s Cube et sans succès les différentes combinaisons possibles qui incluraient le Petit Pic et le Grand Pic, j’ai fini par faire un peu d’élagage en concentrant la réflexion sur le Grand Pic uniquement et en éliminant son versant Est car il ne présente pas de voie d’escalade, mis à part le facile Éperon Oriental. Ce versant servirait donc uniquement aux transitions. Restait à trouver une voie sur chacune des autres faces du Grand Pic et à partir de là, élire un cheminement est devenu limpide.


C’est ainsi que nous quittons le refuge de Pombie à 3h15 dans la nuit de jeudi à vendredi pour rejoindre le pied de l’Éperon Nord de la Pointe de France, parmi quelques bancs de brouillard qui ont réussi à me faire rater, mal réveillé et l’esprit occupé par la discussion matinale, la sente qui part en versant nord. Une erreur d’aiguillage heureusement vite rectifiée car pour un guide se vantant de bien connaître l’Ossau comme un ami de plus de 30 ans déjà, ça la foutait mal d’entrée de jeu. Nous commençons l’escalade à 5h, éclairés à la frontale le temps d’une ou deux longueurs. C’est une voie que j’apprécie pour son tracé élégant lorsqu’on regarde l’Ossau depuis le nord et que j’ai souvent eu l’occasion de gravir avec des gens ces dernières années. Psychopathe de l’optimisation du temps et des techniques, j’y ai mes petites habitudes et astuces pour que ça déroule à chaque fois un peu mieux. En temps normal, j’ai quelques scrupules à mener cette ascension tambours battants par crainte que mes compagnons de cordée n’en profitent pas assez, mais cette fois, j’ai une bonne excuse pour essayer d’aller encore plus vite. À 9h20, c’est le sommet, où nous saluons un couple qui se réveille d’un bivouac sûrement romantique, en tout cas venté.


L'Éperon Nord de la Pointe de France




Le Grand Pic présente une face qu’on oublie souvent mais qui ne manque pas d’allure, même si elle est plus courte que ses consœurs. Je trouvais essentiel de l’inclure au projet. Il s’agit de la paroi raide située au-dessus de La Fourche, parcourue par une voie Ravier ouverte en 1955, dite Face Sud-Ouest et rarement parcourue. J’y avais traîné mes jeunes guêtres seul en hiver en 1993 mais n’en gardait qu’un vague souvenir quant à l’itinéraire et au matériel nécessaire. Nous en commençons l’escalade à 10h15 par du terrain moins roulant et du rocher demandant un peu d’attention. La longueur-clef remonte des écailles grises, tranchantes et un peu bizarres mais il y reste de nombreux pitons d’origine. J’ai profité de cette ascension pour refaire un topo, consultable en cliquant ici. À 12h50, nous voilà de nouveau au sommet de la Pointe d’Espagne. Le temps de raconter trois conneries avec Jean Baptiste et ses clients qui sont montés par la voie normale, nous entamons la descente. 


Voie Ravier 1955 en face Sud-Ouest du Grand Pic



Le plan B pour la troisième face, c’était de remonter par la voie Fouquier mais comme tout va encore bien pour Guillaume, bien qu’impressionné à juste titre par l’ambiance dans la seconde ascension, on ne se dégonfle pas et à 15h, nous nous lançons dans la voie Sud-Est Classique, que nous sommes contents de voir passer à l’ombre pour y trouver une température idéale. C’est une voie pour laquelle je pense pouvoir dire sans prétention que j’en connais toutes les prises et emplacements de friends me convenant mais cette fois, je trouve que c'est plutôt un facteur de risque : avec la fatigue qui commence à se faire sentir et le désir de continuer à grimper vite, il ne faut pas céder au relâchement, bien assurer chacun de ses mouvements, ne pas risquer une grande chute en premier de cordée et continuer à veiller sur Guillaume qui à mi-voie commence à me demander combien de longueurs il reste… c’est un signe, mais j’ai bien compris qu'il n'est pas du style à se laisser faire quoi qu'il arrive ! À 18h45, nous en finissons avec cette troisième voie. Lorsque je réfléchissais au projet, il me semblait évident que l’élégance consistait à continuer vers le sommet plutôt que descendre par la voie des Vires. Nous continuons et terminons donc le périple, maintenant entamés physiquement et surtout lassés psychologiquement, par la Pointe Jean Santé, la Pointe d’Aragon et l’arête menant au Rein de Pombie que nous atteignons à 22h10, pile avant que les lampes frontales ne deviennent nécessaires. Cette fois, nous faisons l’impasse sur le sommet du Grand Pic, situé 100 m plus haut car d’un commun accord, il ne faut pas exagérer. Revenus au refuge à 00h05, 21 heures donc après l’avoir quitté, nous avons la surprise de trouver Jean Baptiste et Léon le gardien qui nous attendent, trop sympas ! Le temps de raconter de nouveaux trois conneries et de se voir offrir un en-cas délicieux, on reprend notre route pour rentrer à la maison, Guillaume en direction de Jaca et moi de Sévignacq où je retrouve mon lit à 3h du matin, après avoir croisé quelques troupeaux de vaillantes vaches et brebis en quête d'herbe fraîche, nuit de la transhumance oblige. 


La voie Sud-Est Classique

En haut de la Sud-Est Classique

L'Aiguille du Pentagone

Guillaume à la Pointe d'Aragon 


Le petit côté cocasse de cette histoire, c’est que quand j’ai parlé à Guillaume des voies que nous pourrions faire pour répondre à son projet et de leurs difficultés, il n’a pas regardé les topos, à part celui de l’Éperon Nord de la Pointe de France qu’il envisageait de faire un jour. Je me suis donc rendu compte au fil de la journée qu’il ne savait pas vraiment à quoi s’attendre ni où nous allions maintenant. Bon, au moins, on peut dire que Guillaume a confiance en son guide ! Merci à toi pour cette idée à la con et, comme on s’est dit en se quittant, si tu en as d’autres de ce style, refais signe. 


J’ai appris pendant que nous grimpions le décès de Marine Clarys, jeune guide du Mercantour, victime d’une chute à la Cougourde alors qu’elle gravissait une voie avec un client, lui indemne. Je t’avais eu comme stagiaire Marine pendant ta formation et je t’appréciais beaucoup, beaucoup, si on peut le dire comme ça, si banalementAlors je me demande si on a tout montré et fait comme il fallait quand tu es passée à l'Ensa ? Ou si c'est une maudite prise qui t'a joué un sale tour ? Ou si ça s'explique, en vrai ? Ou juste que la vie, la mort, le destin, c'est comme ça ? À vrai dire, et je ne sais pas si ça se dit ici ou ailleurs mais je le dis, je serais tombé frapadingue amoureux de toi si nous avions eu le même âgeAbasourdi comme à chaque fois, bien trop souvent, que les montagnes nous rappellent sans aucune concession qu’elles sont faîtes d’ombres et de lumières, je pense très fort à toi et je te pleure.


Les six lumineuses de la promotion de guides 2017. Marine, tout à droite. Non mais t'aurais pas pu te mettre au milieu avec un prénom pareil ?! Quoique que vue depuis les Aiguilles de Chamonix tu es à tout à gauche