Quand un client annule le vendredi pour le dimanche une semaine prévue de longue date dans les Dolomites, c'est toujours un peu... déstabilisant. Surtout quand un anticyclone y est prévu, une fois n'est pas coutume. C'était sans compter sur Kaoli qui a pu chambouler son programme, moyennant quelques contorsions acrobatiques.
L'an passé, nous avions gravi ensemble la voie Solleder-Lettenbauer en face nord de la Civetta. Lors d'une visite à Philippe Brass et sa famille qui vivent près d'Agordo une partie de l'année, il nous avait parlé de la "trilogie Solleder", les trois grandes voies des Dolomites qu'Emil a ouvert. Début septembre 1925 pour celle de la Furchetta, dont je n'avais jamais entendu parler et qui serait le premier passage de VI des Alpes, à coup sûr la moins classique des trois, celle de la Civetta une dizaine de jours plus tard et celle du Sass Maor en 1926. L'idée de cette trilogie n'était pas tombée dans l'oreille des deux sourds que nous sommes pourtant parfois...
Nous attaquons notre petit séjour de cette année par un tour de chauffe au célèbre et ludique Spigolo del Velo de la Cima de la Madonna où nous avons la chance d'être seuls au-dessus des nuages.
Le lendemain, en compagnie d'une cordée d'allemands bien sympas, le Sass Maor nous offre le loisir de confirmer, si besoin il en était, tout le talent de Solleder qui avec Kummer a trouvé un cheminement bien astucieux et pour le moins audacieux au travers de traversées improbables sur la belle et impressionnante cuirasse de la face sud.
Après pas mal de tergiversations au vu de la distance qui nous sépare de la Furchetta située tout au nord du massif dans le groupe de l'Odle, nous finissons par prendre notre courage à deux mains pour affronter les routes encombrées des Dolomites, que nous encombrons aussi, et rejoignons le préservé Val de Funes, terre natale et des premières armes de Reinhold Messner. Ici, tout est propre et bien rangé, les géraniums aux balcons encore plus abondant qu'ailleurs.
Nous faisons un peu moins les malins au pied de cette face nord, haute de 800 m et pour laquelle on trouve peu d'infos sur internet. Un marteau et quelques pitons semblent utiles, je les ai consciencieusement laissé à Chamonix 5 minutes avant de partir, on verra bien. Les deux premiers tiers sont assez rapides puis il faut réfléchir pour trouver le bon cheminement, ne pas prendre une option sans issue, progresser sans se précipiter d'autant plus que le rocher n'est pas de première qualité en comparaison à bien des itinéraires des Dolomites.
La plupart des pitons sont vraiment d'époque mais finalement les relais se renforcent plutôt bien sur friends. Un piton de plus à certains d'entre eux ne feraient pas de mal pour de futures ascensions, si quelqu'un a le courage de s'y coller. C'est surtout en se mettant à la place de Solleder et Wiesner que l'on est intimidé car en levant la tête, ils ont du souvent se demander si ça sortirait tout là haut dans ce surplomb fendu d'une fissure large d'apparence rébarbative qui aurait pu être du 7b comme du V+, qu'elle est finalement. Des trois grandes voies Solleder, celle-ci est peut-être la plus sérieuse de nos jours, car bien moins parcourue que celles du Sass Maor et de la Civetta. Nous avons mis 4 heures pour celle du Sass Maor, 8 heures ici.
Le retour, une bonne petite marche de 3 heures sans chômer, se fait en descendant d'abord versant sud avant de remonter à un col à l'ouest du Sass Rigais afin de basculer du bon côté. Les paysages y sont magnifiques.
Si cela peut aider à trouver plus facilement des infos sur cette voie, j'ai fait un topo en prenant des notes au fur et mesure de l'ascension.
Au terme de ce bref séjour, il a fallu, avec plaisir, retrouver mon travail à l'Ensa qui consistait la semaine dernière à organiser une épreuve d'orientation de nuit pour les aspirant(es)-guides. L'occasion pour moi de découvrir, souvent y allant à vélo pour joindre l'utile à l'agréable, le préservé, doux et accueillant plateau de Cenise et ses vaches sympathiques. Un endroit pourtant menacé par un projet de complexe de ski de fond, on arrête pas le progrès. Deux documentaires que j'ai aimé à ce sujet : "Sur un plateau d'argent" et "La poudre aux yeux". Tous les stagiaires ont réussi à trouver les balises qui leur étaient destinées, bravo à eux car dans le brouillard, sous la pluie, par une nuit noire et fréquemment surpris par des vaches aussi surprises qu'eux, je ne serais peut-être jamais devenu guide si cette petite trotte nocturne avait existé à l'époque. D'ailleurs, ironie du sort maintenant que je gère depuis quelques années ces épreuves de boussole et d'altimètre dans la formation de guide, j'ai raté deux fois, à cause de l'orientation, le probatoire du diplôme d'accompagnateur en moyenne montagne, le graal en ces temps lointains pour avoir le droit de se présenter aux épreuves d'entrée en formation de guide. Ces dernières se sont mieux déroulées, un piton extra-plat étant plus facile à différencier d'un bong, en comparaison d'une brebis d'avec une grassette à longues oreilles.